Défis des soins de longue durée: enseignements de la pandémie de coronavirus
Publié le 09.01.2023
À l’instigation de membres de la Swiss National Covid-19 Science Task Force, un comité national composé de 40 expert.e.s de différentes disciplines a examiné les problèmes actuels rencontrés dans le secteur des soins stationnaires de longue durée en Suisse.
La majorité des difficultés identifiées ne sont pas spécifiques à la pandémie, mais sont de nature structurelle. En effet, les personnes impliquées dans les soins de longue durée les connaissent depuis longtemps. En plus de certains enjeux éthiques, il s’agit de problèmes concernant la prise en charge par les médecins et par les infirmiers.ères dans ces institutions. Le comité d’expert.e.s a effectué une analyse globale des défis à relever, a défini les champs d’action possibles et a formulé des recommandations.
La SSBE remercie les auteurs pour le travail accompli et soutient la diffusion de ces recommandations dans le sens de stimuler la discussion.
Les personnes à contacter pour des questions à propos de ces recommandations sont:
Pour les demandes en français: Pia Coppex
Pour les questions concernant les différents contextes (renseignements en allemand):
Établissements médico-sociaux: Gaby Bieri
Soins infirmiers: Franziska Zúñiga
Soins médicaux: Klaus Bally
Une pandémie persistante demande solidarité et responsabilité
Publié le 03.02.2021
L’essentiel en bref
L’appel des hôpitaux est sans équivoque: il devient de plus en plus difficile de maintenir l’accès de la population aux soins médicaux. Les hôpitaux ne peuvent résoudre ce problème seuls. Chacun doit apporter son aide, tant la population que les autorités et les institutions. Les éthicien.nes exigent sans détour:
1) La prise immédiate de mesures efficaces afin de garantir l’accès aux soins médicaux de l’ensemble de la population dans le respect de la protection de la personnalité et de la qualité de vie.
2) L’absence de jugement moral et le renoncement à établir une distinction entre «personnes vaccinées louables» et «personnes non vaccinées condamnables» et, au lieu de cela, la promotion d’une obligation morale de se faire vacciner.
3) Le respect et la valorisation des personnes actives dans le domaine de la santé.
4) Un effort commun pour briser la vague, la nécessité de recourir au triage n’étant pas inéluctable.
Une pandémie persistante demande
solidarité et responsabilité
Appel (de Noël) des éthicien.nes
Les responsables de l’Éthique clinique publiaient déjà en début d’année un appel sous ce même titre*. Cet appel est à nouveau nécessaire. La pénurie des ressources exige de toute urgence la prise de mesures efficaces permettant la mise en œuvre concrète d’une solidarité et d’une coordination responsable entre citoyens, autorités et institutions.
La pandémie se poursuit sans relâche, et nous nous trouvons de nouveau dans une phase très critique. Il devient en effet toujours plus difficile de maintenir l’accès de la population à la prise en charge médicale. De nombreuses personnes gravement malades risquent de manquer de soins au vu du report toujours plus fréquent de traitements et d’interventions. Les professionnel.le.s de la santé, épuisé.e.s sur les plans physique et mental, sont de plus en plus nombreux à démissionner, ce qui aggrave encore la situation.
En raison des taux d’infection élevés, même les personnes vulnérables vaccinées contractent de nouveau des formes graves de Covid. Le nouveau variant du virus peut en outre entraîner une recrudescence soudaine et marquée du nombre de cas et d’hospitalisations. Dans le pire des cas, il deviendrait nécessaire de recourir au triage. Des directives médico-éthiques ont déjà été établies en la matière et garantissent qu’en cas de pénurie extrême des ressources, il soit décidé de manière transparente et équitable quelles personnes gravement malades ne recevraient pas les soins intensifs indispensables à leur survie. La nécessité de recourir au triage n’est toutefois pas inéluctable. Il existe des moyens efficaces de freiner la propagation du virus, de limiter les formes graves et d’éviter ainsi la surcharge du système de santé.
Les éthicien.nes signataires sont particulièrement inquiets en vue des jours et des semaines à venir. Ils enjoignent les responsables au niveau fédéral, cantonal et communal, ainsi que les fournisseurs de prestations à prendre des mesures rapides et concrètes visant à renforcer les soins médicaux de base et à protéger les groupes de personnes vulnérables. Cet appel somme en outre les citoyens à prendre les mesures sanitaires au sérieux et à les appliquer.
1) Nous appelons les autorités et les institutions à assumer leur responsabilité. Le système de santé essuie les conséquences de chaque nouvelle vague, mais ne parvient à en briser aucune. Pour y parvenir, des mesures gouvernementales sont nécessaires. Une hésitation prolongée peut s’avérer lourde de conséquences. Il incombe aux autorités et aux institutions d’assumer leur responsabilité afin de faire face à cette crise persistante, qui met les professionnel.le.s de la santé, les personnes gravement malades ainsi que leurs proches à rude épreuve et constitue un lourd fardeau pour la population tout entière.
Les mesures gouvernementales doivent être prises de manière à garantir l’accès aux soins médicaux à toutes celles et ceux qui en ont besoin. En plus de mesures strictes visant à enrayer les contaminations, iI convient de clarifier rapidement le financement des interventions spécifiques à la pandémie et de parvenir à une meilleure coordination des prestataires dans un contexte de pénurie des ressources. Il est urgent de définir des critères pour le report d’interventions planifiables et de faire preuve de transparence quant à leur ampleur.
Les personnes les plus durement touchées par la pandémie ne doivent pas être laissées pour compte. En font notamment partie les enfants et les jeunes, les personnes souffrant de troubles psychiques, les seniors seuls et résidant en EMS ainsi que les personnes dont la situation sociale est précaire. Il convient, lors de la mise en œuvre des mesures de protection, de veiller à ce qu’elles soient en adéquation avec la protection de la personnalité et de la qualité de vie. Dans cette optique, les interdictions strictes de visite dans les EMS et les hôpitaux ne sont pas indiquées.
Des études** montrent que les personnes les plus économiquement défavorisées de notre société présentent un risque plus élevé de contamination, d’hospitalisation et de décès. Il s’agirait donc plutôt de mettre en place une communication adaptée au public cible et de transmettre des informations formulées clairement, accessibles au plus grand nombre.
2) Nous appelons toutes les parties à ne pas porter de jugement moral. Pour les personnes vaccinées, il semble aberrant et paradoxal que des personnes non vaccinées atteintes du Covid mobilisent des ressources médicales considérables, et que meurent en unités de soins intensifs des personnes jeunes et auparavant en bonne santé dont le décès aurait pu être évité grâce à la vaccination. Toutefois, une classification entre «personnes vaccinées louables» et «personnes non vaccinées condamnables» ne permettra pas de stopper la pandémie, bien au contraire. Une telle vision pourrait en effet faire penser aux personnes vaccinées qu’elles ne peuvent plus être contaminées ni contaminer les autres, et ainsi les amener à ne plus suffisamment protéger les autres, ni se protéger elles-mêmes.
Divers facteurs d’ordre physique, psychologique, linguistique, culturel ou religieux, voire l’appartenance à un milieu critique envers la vaccination constituent autant de motifs invoqués en faveur du refus du vaccin. Les individus disposent par ailleurs (encore) du droit de consentir ou de refuser de manière éclairée la vaccination après en avoir pesé le pour et le contre. Il n’appartient pas au corps médical de juger de la «responsabilité personnelle» (supposée ou réelle) d’un individu non vacciné qui contracterait la maladie. D’un point de vue éthique, le droit à une prise en charge médicale ne saurait être refusé à cet individu, ceci même s’il présente un comportement à risque et dépourvu de toute considération à l’égard des autres. Le grand nombre de personnes non vaccinées demeure un défi à relever. Il existe des moyens efficaces pour y parvenir: chercher le dialogue et informer, expliquer, y c. au sujet des incertitudes concernant le stockage des données, et promouvoir l’obligation morale de se faire vacciner. La coopération des autorités, des médecins (de famille) et de chacun.e est requise dans cette démarche.
3) Nous appelons au respect et à la valorisation des personnes actives dans le domaine de la santé. Aujourd’hui comme demain, le maintien de l’accès à une prise en charge médicale satisfaisante est dans l’intérêt de tous. Un traitement et des soins de qualité ne s’achètent pas à la demande. La possibilité d’en bénéficier repose entièrement sur les professionnel.le.s de la santé qui traitent et prennent en charge les personnes malades et accidentées. Nous appelons donc au respect des personnes actives dans le domaine de la santé et à leur valorisation. Nous enjoignons par ailleurs les citoyens à tout mettre en œuvre afin d’endiguer la pandémie et d’éviter les hospitalisations inutiles. En effet, les personnes dont le métier est de s’occuper de personnes malades, accidentées ou dépendantes doivent pouvoir accomplir leur travail dans des conditions acceptables.
4) Nous sommes convaincus qu’ensemble, nous pouvons briser cette vague. Les éthicien.nes sont favorables à une obligation morale de se faire vacciner et recommandent vivement aux personnes pour qui le vaccin est actuellement indiqué de passer à l’acte, y c. la dose de rappel. Nous avons en outre tous l’obligation morale de limiter nos contacts sociaux et d’appliquer les mesures d’hygiène appropriées.
Chacun.e a son rôle à jouer, les personnes (actuellement) vaccinées comme celles (actuellement) non vaccinées, de même que les personnes guéries. Toute personne qui, à son échelle, s’en tient aux recommandations et aux mesures constitue le maillon d’une chaîne et contribue à freiner la pandémie, à prévenir les formes graves et longues de la maladie, et à éviter ainsi des décès. Il nous incombe à toutes et tous, aussi longtemps que la pandémie représentera un tel risque de surcharge pour le système de santé, de limiter la propagation du virus et les contaminations ainsi que les décès en respectant les mesures sanitaires.
* Voir Une pandémie durable demande solidarité et responsabilité (bms, le 3 février 2021)
** Voir Socioeconomic position and the COVID-19 care cascade from testing to mortality in Switzerland (Lancet Public Health, septembre 2021)
Contact pour les médias
Prof. Dr méd. Samia Hurst, Directrice de l’Institut Ethique, Histoire, Humanités, Université de Genève, Samia.Hurst@unige.ch, 022 379 46 01
Prof. Dr méd dipl. soc. Tanja Krones, Leitung Klinische Ethik USZ, tanja.krones@usz.ch
044 255 34 70 / 079 938 03 32
PD Dr méd. Dr phil. Manuel Trachsel, Leiter Klinische Ethik, Universitätsspital Basel, manuel.trachsel@usb.ch, 061 328 44 84 / 079 810 00 14
Autrices et auteurs
Sibylle Ackermann, lic. théol., dipl. biol., responsable du ressort Éthique de l’ASSM
Dr sc. méd. Manya Hendriks, responsable projet du ressort Éthique de l’ASSM
Prof. Dr méd. Samia Hurst, Directrice de l’Institut Éthique, Histoire, Humanités, Université de Genève
Prof. Dr méd. Tanja Krones, dipl. soc., Direction Éthique clinique USZ
Dr sc. méd. Settimio Monteverde, Direction Éthique clinique USZ
Bianca Schaffert, MSN, Présidente Commission d’Éthique de l’ASI, Vice-présidente Commission Centrale d’Ethique de l’ASSM
PD Dr méd. Dr phil. Manuel Trachsel, Direction Éthique clinique, Hôpital universitaire de Bâle
Tatjana Weidmann-Hügle, M. Sc., M.A., Direction Éthique clinique, Hôpital cantonal de Bâle-Campagne
Liste des signataires
Dr. phil. Heidi Albisser Schleger, MSc, RN, Alltagsethik im Gesundheitswesen, Universität Basel
Dr. theol. Ruth Baumann-Hölzle, Institutsleiterin der Stiftung Dialog Ethik
PD Dr. med. Eva Bergsträsser, Leitung Pädiatrische Palliative Care, Universitäts-Kinderspital Zürich
Dr. med. Anna Cavigelli, Co-Leitung klinische Ethik Kinderspital Zürich
Dr Christine Clavien, Maître d'Enseignement et de Recherche, iEH2 - Institut Ethique Histoire Humanités, Université de Genève Faculté de Médecine
Dr. med. Seraina Dübendorfer, Oberärztin m.e.V. Anästhesie, Steuerungsgruppe der Ethikkommission Stadtspital Zürich
Daniel Ducraux, inf. MScN en santé mentale, membre de la Commission d’Éthique de l’ASI
lic. sc. rel. Nadja Eigenmann-Winter, MAE, Spitalseelsorgerin CPT
Dr. med. Markus Eichelberger, Allgemeine Innere Medizin, Mitglied Zentrale Ethikkommission SAMW
Prof. Dr. med. Bernice Elger, Direktorin Institut für Bio- und Medizinethik, Universität Basel
PD Dr Marta Fadda, Bioethics, Università della Svizzera italiana
Dr. med. Andreas Fischer, Co-Leiter Ethik-Forum, LUKS Luzern
Ana Gurau, Doctorante en Sciences biomédicales, mention Bioéthique, Faculté de médecine, Université de Genève
Dr. med. Oswald Hasselmann, LA Neuropädiatrie/Klinische Ethik, Ostschweizer Kinderspital, Mitglied der Zentrale Ethikkommission derSAMW, Vorstand SGBE
Dr. med. Antje Heise, Präsidentin Ärzteschaft SGI, Thun, Intensivmedizin
Kathrin Hillewerth MScN, Co- Leiterin Ethik Forum Spital Zollikerberg und Stiftung Diakoniewerk Neumünster und Schweizerische Pflegerinnenschule
Adrienne Hochuli, MTh, Institut für Sozialethik, Universität Luzern
Dr. sc. med. Martina Hodel, Konsiliarpsychiatrischer Dienst/Mitglied Ethik-Forum, Kantonsspital Luzern.
Dr. med. Markus Hofer, MAS FHNW, CAS MedLaw UZH, CA Klinische Ethik, LA Pneumologie, Leiter Kommission für klinische Ethik am KSW
Prof. Dr. med. Dr. phil. Paul Hoff, Zollikon, Psychiatrie und Psychotherapie
Priska Huckele, Dipl. Logopädin, Leitung Ethikforum Spital Zofingen AG
Prof. Dr. Ralf J. Jox, Medizinethiker, Lausanne
Isabelle Karzig-Roduner, Expertin Notfallpflege, MScN, MAE, Klinische Ethik, USZ
Muriel Keller, Mitglied klinisches Ethikkomitee, USZ
dipl. theol. Hubert Kössler, Medizinethiker, Bern
Reto Lingenhag, Qualitätsmanager, Steuerungsgruppe der Ethikkommission Stadtspital Zürich
Dr. med. lic. theol. Diana Meier-Allmendinger, Fachärztin für Psychiatrie und Psychotherapie, Klinik Schützen und Dialog Ethik
Andrea Moser, Pflegeexpertin Intensivpflege, Steuerungsgruppe der Ethikkommission Stadtspital Zürich
Ernst Näf, MScN, Pflegeexperte APN-CH
Monika Obrist, MSc, RN, Co-Geschäftsleiterin Advance Care Planning, ACP Swiss
Marlis Pfändler-Poletti, MAS SCO, Höfa II, Pflegeexpertin, Patientensicherheit, Ethik
Prof. Dr. Rouven Porz, Medizinethiker, Bern
Dr. med. Hans Räz, MAS Ethische Entscheidungsfindung im Gesundheitswesen, Chefarzt Institut für Nephrologie und Dialyse, Kantonsspital Baden
Dr. med. Regula Schmid, MAS Angewandte Ethik UZH, Leitende Ärztin Kinderneurologie. Mitglied Komm für klinische Ethik, Kantonsspital Winterthur
Dr. med. Hannah Vera Schmieg, M.A., Luzerner Kantonsspital
Dr. rer. medic. Ewald Schorro, Hochschuldozent, Mitglied Zentrale Ethikkommission der SAMW
Jan Schürmann, M.A., Abteilung Klinische Ethik, Universitätsspital Basel
Dr. med. Birgit Schwenk, Chefärztin und Departementsleitung, Departemen Akutgeriatrie
Dr. phil. Annina Seiler, Klinische Psychologin, Klinik für Radio-Onkologie, Kompetenzzentrum Palliative Care, Universitätsspital Zürich
Prof. Dr. med. Reto Stocker, Facharzt für Anästhesiologie & Intensivmedizin, Hirslanden, Zürich
Dr. Jürg Streuli, PhD, Institute of Biomedical Ethics and History of Medicine, University of Zurich
Dr. Jean-Daniel Strub, Ethiker, Institut Neumünster und Brauer & Strub, Medizin Ethik Politik
Patrick Witschi, Leiter Pflege, Soziales und Therapien, Vorsitz der Ethikkommission Stadtspital Zürich
Pandémie: protection et qualité de vie des personnes en EMS
Appel aux responsables de la politique, du management, des soins et de la prise en charge*
Publié le 01.07.2020
Sibylle Ackermanna, Ruth Baumann Hölzleb, Nikola Biller Andornoc, Tanja Kronesd, Diana Meier-Allmendingere, Settimio Monteverdef, Susanne Rohrg, Bianca Schaffert-Witvlieth, Reto Stockeri, Tatjana Weidmann-Hüglej
La pandémie de corona a révélé la grande vulnérabilité des personnes vivant dans des établissements médico-sociaux. Les éthiciens reconnaissent la prise de responsabilité des autorités et des institutions dans la mise en œuvre des mesures de protection. En même temps, ils soulignent que la protection de la vie doit aller de pair avec la protection de la personnalité et de la qualité de vie.
L’isolement et ses conséquences pour les personnes particulièrement vulnérables
Le 27 mai 2020, le Conseil fédéral a décidé de mettre fin à la situation extraordinaire liée à la pandémie de coronavirus le 19 juin 2020. Si, pour une grande partie de la population suisse, ces mesures signifient un retour progressif à la vie normale, tel n’est pas le cas pour tous les citoyens de notre pays. Dans le but d’assurer une protection maximale, des restrictions sévères au droit à l’autodétermination et à la liberté dans leur espace de vie ont été imposées pendant plusieurs mois aux résidentes et résidents des EMS, mais également des institutions pour malades ou handicapés mentaux (parmi lesquels vivent aussi des enfants et des adolescents) et des résidences pour personnes âgées. Cette limitation des droits de la personnalité a provoqué chez de nombreuses personnes concernées une perte de la qualité de vie liée au sentiment d’intégrité physique et mentale, due en partie à la longue séparation avec leurs proches. Chez de nombreux résidentes et résidents, mais en particulier chez les personnes atteintes de démence, on a constaté que l’isolement spatial et social du noyau familial ou d’autres personnes proches a accéléré le déclin des capacités cognitives et la dégradation physique – avec souvent des complications pouvant mener à la mort. Ces phénomènes sont encore aggravés par les mesures de prévention des infections (par exemple, masques faciaux, isolement en chambres), pouvant provoquer de la confusion et un comportement difficile chez les personnes souffrant de troubles cognitifs [1, 2].
La situation en Suisse et au niveau international
En Suisse, malgré cet isolement rigoureux, plus de 50% des décès dus à la pandémie du coronavirus sont survenus dans les EMS [3–5]. Parmi les nombreuses raisons, on peut citer le risque accru d’infection chez les personnes vivant en communauté dans des grandes structures ainsi que, dans certains cas, le manque ou la fourniture tardive d’équipements de protection pour le personnel soignant dans les institutions [6–8]. Le matériel de protection insuffisant et la nécessité d’élaborer des concepts de protection concernaient aussi les services ambulatoires. En prévision d’une évolution particulièrement grave de l’infection COVID-19, il peut être pertinent pour les résidentes et les résidents de rester dans l’environnement familier de l’établissement plutôt que d’être transférés dans un hôpital, en particulier dans une unité de soins intensifs [9]. De nombreuses personnes concernées ont formulé à l’avance leur volonté à ce sujet et l’ont consignée sous forme de directives anticipées et/ou d’une ordonnance médicale d’urgence par le biais d’une planification anticipée des soins (PAS) [10, 11]. Par ailleurs, depuis plusieurs semaines, diverses autorités sanitaires cantonales ont émis des directives destinées aux EMS imposant des conditions plus strictes pour l’hospitalisation des personnes présentant une suspicion de COVID-19 que pour le reste de la population (critère de l’utilité attendue du traitement à l’hôpital contrairement à celui de la nécessité de l’hospitalisation d’une personne compte tenu de son état actuel). Il importe de clarifier dans quelle mesure les exigences légales posées aux EMS portent atteinte à l’égalité de droit et constituent une discrimination à l’encontre de personnes, en raison de leur âge ou de leur lieu de résidence.
Protection de la vie, de la santé et de la personnalité
Dès le début de la menace de pandémie, les EMS, les organisations et les autorités sanitaires ont réagi avec responsabilité et prudence et ont dû rapidement mettre en œuvre les recommandations du Conseil fédéral concernant l’interdiction de visite dans les EMS. L’obligation de protéger la vie s’applique de manière absolue dans le sens où elle protège les individus des homicides par des représentants de l’Etat, à de très rares exceptions près comme la légitime défense ou la guerre défensive. En revanche, l’obligation de protéger les individus des risques sanitaires ne s’applique pas de manière absolue – ni en situation de pandémie ni en temps normal. Elle s’inscrit bien plus dans la protection de la personnalité, des valeurs et des intérêts de la personne qui vit et fait l’expérience de sa propre vie.
Les personnes en institutions de soins de longue durée vivent dans des locaux à usage privé. Dans les situations extraordinaires, le droit à l’autodétermination au sein de la sphère privée doit également être accordé aux personnes en institutions de soins de longue durée, dans le respect des normes de protection recommandées et en observant les concepts de protection existants, dont la proportionnalité doit cependant être constamment vérifiée et démontrée. Les représentantes et représentants légaux et les curatrices et curateurs de personnes incapables de discernement doivent pouvoir leur rendre visite à tout moment. L’humanité d’une société se mesure à l’importance systémique qu’elle accorde à la prise en charge des personnes nécessitant une assistance et des soins permanents dans ces institutions. La prise de position de la Commission nationale d’éthique dans le domaine de la médecine humaine «Protection de la personnalité dans les institutions de soins de longue durée» du 8 mai 2020 [12] s’est exprimée clairement à ce sujet; son écho est toutefois resté modeste [13].
Dix postulats
Les crises de la santé publique, telles qu’une pandémie, confrontent la société à de grands défis médicaux, éthiques et juridiques. Les personnes déjà vulnérables deviennent encore plus vulnérables. Il s’agit notamment des personnes qui vivent dans des institutions de soins de longue durée ou qui bénéficient de services ambulatoires de soins à domicile. Elles ont tout particulièrement besoin de protection. Il est de la responsabilité collective des forces politiques, des autorités, des directions d’EMS, du personnel médical et des autres collaborateurs de créer, avec les résidents et leurs proches, un environnement sécurisé et humain, afin que même dans une situation de pandémie, les vies à protéger soient vécues par les personnes concernées comme valant la peine d’être vécues.
En tant qu’éthiciennes et éthiciens suisses, nous invitons les directions des institutions, les organisations ainsi que les autorités sanitaires à appliquer, dans le sens de «lessons to be learned» et dans l’optique d’une nouvelle vague de pandémie, les dix postulats suivants:
1. Les droits à la liberté des résidentes et résidents des institutions de soins de longue durée, garantis par la Constitution, doivent être pleinement préservés dans le respect des normes de protection recommandées pour la population et en présentant des concepts de protection appropriés.
2. L’accès libre aux personnes incapables de discernement doit être garanti aux proches et aux personnes de référence ainsi qu’aux représentantes et représentants légaux et aux curatrices et curateurs, dans le respect des normes de protection généralement applicables.
3. Des fonds devraient être mis à disposition pour une étude scientifique indépendante sur les conditions qui expliquent le taux de mortalité élevé lors de la première vague de la pandémie de COVID-19 dans les établissements médico-sociaux en Suisse.
4. Des mesures devraient être prises pour renforcer la confiance dans les autorités et les institutions en situation de pandémie. Celles-ci incluent le dialogue permanent avec les résidentes et les résidents, les proches et les représentantes et représentants légaux.
5. Lors de la planification des mesures, il importe d’appréhender les problèmes structurels susceptibles de contribuer à une aggravation des phénomènes susmentionnés dans les institutions de soins de longue durée [14]. Ces mesures concernent:
a. le faible skills-grade mix (c’est-à-dire que les exigences concernant le nombre et la qualification du personnel dans les équipes ne sont pas satisfaites),
b. la pénurie (chronique) de personnel avec des postes en sous-effectif,
c. la pénurie de matériel de protection,
d. l’absence de concepts de protection pour les visiteurs, les représentantes et représentants légaux, les curatrices et curateurs,
e. l’absence de mesures de détection précoce des personnes infectées parmi les résidentes et résidents et le personnel,
f. l’absence de concepts de soins palliatifs appliqués professionnellement selon les standards de palliative ch,
g. l’examen critique de la situation de logement des personnes à haut risque dans les grandes institutions et la priorisation de petites unités de vie avec des petites équipes soignantes.
6. Les directives ou recommandations cantonales des autorités sanitaires destinées aux institutions devraient être transparentes et publiées officiellement. Les critères d’hospitalisation des résidentes et résidents suspectés d’être atteints du COVID-19 devraient être connus, tenir compte de la volonté des personnes concernées et, dans les situations exigeant un tri des patients, respecter les normes nationales en vigueur; ils ne peuvent pas prévoir d’obstacles supplémentaires pour les résidentes et résidents des institutions de soins de longue durée.
7. Les structures qui contribuent activement à une culture de l’erreur tant au niveau interne qu’externe (par exemple le Critical Incident Reporting System [CIRS] et les processus de Whistleblowing) devraient être renforcées.
8. Les résidentes et résidents, les proches, les représentantes et représentants légaux et les curatrices et curateurs devraient être informés de manière transparente et proactive des infections présentes, des mesures préventives et de la situation en matière de soins.
9. Dans l’optique d’une nouvelle vague de pandémie, les institutions, les organisations et les autorités sanitaires devraient prévoir des mesures permettant de garantir les droits des résidentes et résidents ci-après:
a. l’accès des représentantes et représentants légaux, des curatrices et curateurs, et des personnes proches,
b. l’accès des professionnels (activation, physiothérapie, ergothérapie, podologie, assistance spirituelle, etc.),
c. le droit à la lumière du jour, à l’exercice, à l’air frais et à l’attention sociale,
d. le droit à la participation aux décisions thérapeutiques,
e. l’implication des proches et des représentantes et représentants légaux en cas de mesures inévitables de restriction de la liberté dans le respect des dispositions légales.
10. Il importe de promouvoir la recherche qui, avec des méthodes scientifiques appropriées, se concentre sur les expériences des personnes concernées, de leurs proches, des soignants et des directions des EMS, afin que leur voix soit prise en compte dans le discours politique concernant la gestion de la pandémie et qu’elle soit mieux représentée dans une situation similaire.
* Cet appel a été signé par plus de 100 personnes de toute la Suisse. Liste des signataires sous:
https://t1p.de/appel-soins-longue-duree. L’appel est également disponible en italien.
Remerciements
Les signataires remercient le Dr méd. Roland Kunz, Directeur médical, Zentrum für Palliative Care, Stadtspital Waid, Zurich, et le Prof. Dr iur. Bernhard Rütsche, Professeur ordinaire de droit public et de droit comparé à l’Université de Lucerne, pour leurs suggestions et adjonctions précieuses.
Adresse de correspondance
Settimio Monteverde, PhD Universität Zürich
Institut für Biomedizinische Ethik und Medizingeschichte
Winterthurerstrasse 30
CH-8006 Zurich
Tél. 044 634 40 81
settimio.monteverde[at]uzh.ch
Références
1 Schlögl M, Jones C. Maintaining Our Humanity Through the Mask: Mindful Communication During COVID-19. J Am Geriatr Soc. 2020;68:E12–E13. doi:10.1111/jgs.16488
2 Röhr S, Müller F, Jung F, et al. Psychosoziale Folgen von Quarantänemassnahmen bei schwerwiegenden Coronavirus-Ausbrüchen: ein Rapid Review. Psychiatr Prax. 2020;47(4):179–89. doi: 10.1055/a-1159-5562
3 Mehr als die Hälfte starb in Alters- und Pflegeheimen. Der Bund vom 18.5.2020; https://interaktiv.derbund.ch/2020/corona-tote-mehrheitlich-aus-altersheimen. Abruf 5.6.2020.
4 Half of Coronavirus Deaths Happen In Care Homes. Data From EU Suggests. The Guardian vom 13.4.2020; www.theguardian.com/world/2020/apr/13/half-of-coronavirus-deaths-happen-in-care-homes-data-from-eu-suggests. Abruf 5.6.2020.
5 COVID-19: Sterblichkeit unter Pflegebedürftigen fünfzigmal höher. Deutsches Ärzteblatt vom 10.6.2020; www.aerzteblatt.de/nachrichten/113675/COVID-19-Sterblichkeit-unter-Pflegebeduerftigen-fuenfzigmal-hoeher. Abruf 14.6.2020.
6 Barnett M, Grabowski D. Nursing homes are ground zero for Covid-19 pandemic. JAMA Health Forum. 2020; https://jamanetwork.com/channels/health-forum/fullarticle/2763666
7 Comas-Herrera A, Zalakaín J, Litwin C, et al. Mortality associated with COVID19 outbreaks in care homes: early international evidence. LTCcovid.org, International Long-Term Care Policy Network, CPEC-LSE. 2020; https://ltccovid.org/wp-content/uploads/2020/05/Mortality-associated-with-COVID-21-May-7.pdf
8 Etard JF. Potential lethal outbreak of coronavirus disease (COVID-19) among the elderly in retirement homes and long-term facilities. Euro Surveill. 2020;25(15):2000448. doi:10.2807/1560-7917.ES.2020.25.15.2000448
9 Fachgesellschaft Palliative Geriatrie. Covid-19-Pandemie: Aspekte der Palliative Care für alte und gebrechliche Menschen zu Hause und im Alters- und Pflegeheim, 2020; www.samw.ch/dam/jcr:e61aba64-f3a6-472c-96a0-46d98b07c926/empfehlungen_fgpg_palliative_care_20200322.pdf. Abruf 5.6.2020.
10 Brinkman-Stoppelenburg A, Rietjens JAC, van der Heide A. The effects of advance care planning on end-of-life care: a systematic review. Palliat Med. 2014;28(8):1000–25. doi:10.1177/0269216314526272
11 Vgl. zu Advance Care Planning in der Schweiz: www.pallnetz.ch/acp-nopa.htm. Abruf 5.6.2020.
12 Nationale Ethikkommission. Schutz der Persönlichkeit in Institutionen der Langzeitpflege. Ethische Erwägungen im Kontext der Corona-Pandemie. NEK-CNE 2020.
13 Lanoix M. Nursing homes in the time of Covid-19. 2020; https://impactethics.ca/2020/04/21/nursing-homes-in-the-time-of-covid-19. Abruf 5.6.2020.
14 Oliver D. Let’s not forget care homes when covid-19 is over.
BMJ. 2020;369:m1629.